L’ENFER, C’EST L’AUTRE << retour

par: Julie Rampal - www.theatreonline.com - 18 octobre 2004


L’ENFER, C’EST L’AUTRE
Audience, Théo Théâtre (Paris)

Václav Havel est un homme viscéralement engagé. Écrivain et dramaturge, il est également un grand homme politique qui n’a cessé de militer contre la dictature dans son pays, la Tchécoslovaquie (devenue République Tchèque). Plusieurs fois emprisonné pour avoir défendu la liberté et les droits de l’homme, il est un des meilleurs témoins de l’absurdité des gouvernements totalitaires. Dans cette pièce construite sous la forme d’un huis clos étouffant, Václav Havel démontre, avec intelligence et acuité, toute la violence dont les humains sont capables entre eux. Un cri à entendre d’urgence !

Un homme entre dans le bureau d’un autre, et les rôles se dessinent d’emblée. Il y a le bourreau et la victime, l’idiot vengeur et le conscient écrasé, l’arriviste collaborateur et le martyr d’un système imbécile, le pouvoir et la misère. Il y a Sladek, directeur d’une petite brasserie de bière, arrivé à son poste à coups d’intrigues et d’arrangements véreux, et il y a Vanek, écrivain éclairé et sans doute dérangeant, muselé par un Etat policier sans scrupules. Le premier est obtus, dangereusement aigri, et si vide qu’il remplit inlassablement son verre de bière pour combler sa béance. Le second est éveillé, tristement résigné, et écrasé par une injustice si grande que sa souffrance devient palpable.

Immédiatement, le jeu du chat et de la souris se met en place. Et les non-dits suintent derrière l’échange des fausses banalités. Le parvenu s’ennuie. Il veut se distraire avec l’écrivain qui a tout perdu. « Ça vous plaît ? Ça pourrait être pire, hein ? (…) Un écrivain, on n’a encore jamais vu ça ici. Et pourtant, on en a eu des rigolos »… L’écrivain souffre. Entre mutisme et diplomatie, il tente simplement de sauver sa peau : « Je vous remercie, je vous suis très reconnaissant ». La tension monte lentement, à mesure que le tortionnaire répète inlassablement les mêmes phrases : « Il faut s’entraider, il faut tirer sur la même corde, une bonne équipe, c’est le Baba ». Et cette répétition des mots conduit à un sentiment d’étouffement de plus en plus grand. L’étau se ressert autour de la victime tandis que se profile un chantage aussi inepte qu’odieux.

Car la menace gronde dans cette pièce de Václav Havel. Elle gronde aussi violemment qu’un ciel d’orage. On pense à Frantz Kafka, à Costa Gavras, et à tous les grands dénonciateurs des régimes qui n’engendrent que censure, bureaucratie obtuse et règles iniques. Et derrière la rancœur de ce petit chef borné envers celui qu’il baptise « l’intellectuel », l’auteur nous met clairement en garde contre le triomphe de la bêtise humaine. Il nous pousse à rester vigilants et à défendre la liberté sous toutes ses formes. Ce texte hautement politique, qui sonde avec curiosité toute la noirceur de l’âme humaine, est interprété par la compagnie Lux in Tenebris, une troupe mue par une touchante passion du théâtre qui n’hésite pas à converser avec les spectateurs au baissé du rideau. Rare et chaleureux !

Julie Rambal
www.theatreonline.com – 18 octobre 2004

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